Le 4 janvier 2024
Tu as sûrement entendu parler de la crise du logement en France. Les causes sont multiples, et aujourd’hui, on te parle de l’une d’entre elles : la prolifération des résidences secondaires.
Dézoomons un peu avant de rentrer dans le détail. Il existe trois grandes familles de logements :
Selon l’INSEE, une résidence secondaire est un “logement utilisé pour des séjours de courte durée (week-ends, loisirs, vacances)”. Cette définition regroupe bien des réalités, car on y retrouve à la fois la maison de famille achetée en bord de mer, la résidence obtenue en héritage, le 200 m² luxueux du riche Américain sur les Champs-Elysées, ou bien le deux pièces loué sur Airbnb.
Avec 1 logement sur 10 enregistré comme résidence secondaire , la France en est le champion européen. On en compte environ 3,5 millions, et elles se concentrent dans trois grandes zones...
Première zone : le Sud-Est, avec le littoral méditerranéen (500.000 résidences), et les Alpes (350.000).
Deuxième zone : la façade Ouest, avec le littoral atlantique (350.000 résidences), les côtes bretonnes (200.000), jusqu'à la côte Normande (150.000).
Et enfin la troisième zone : les grandes villes et surtout Paris (187.000 résidences secondaires dans le Grand Paris).
Les résidences secondaires ont connu un important essor dans les années 70 et 80, lié notamment aux évolutions sociales : quatrième et cinquième semaines de congés payés, semaine de 39 heures, âge de la retraite abaissé à 60 ans. Cette vague a avant tout investi les stations de ski et les littoraux. Mais depuis une quinzaine d’années, une nouvelle dynamique se met en place…
On retrouve sur ce graphique les différentes zones géographiques identifiées sur la carte, ce qui permet de voir leurs évolutions depuis les années 1960...
On visualise bien la forte expansion des résidences secondaires dans le Sud-Est à partir des années 70 et 80. Cette expansion dure une vingtaine d'années avant de ralentir, sans s'arrêter.
Mais on observe aussi un nouveau phénomène à partir des années 2010 : une très forte hausse dans les métropoles, toujours en cours... L'arrivée d'Airbnb est déterminante : de nombreux propriétaires obtiennent une meilleure rentabilité en louant leur appartement à des touristes plutôt qu'à des locaux. On y revient plus tard...
Toutes les grandes villes sont touchées à leur échelle, sans distinction. Même Paris, qui partait de très haut, "gagne" encore presque 50.000 résidences secondaires en 10 ans.
Pour analyser le profil des propriétaires, on va se focaliser sur Paris, car davantage d’études et de données sont disponibles, mais le phénomène est similaire dans les autres grandes villes.
Parmi les quelque 130.000 résidences secondaires à Paris, un tiers alimentent en partie l’offre de logements disponibles, car elles sont utilisées occasionnellement par une autre personne que le propriétaire, par exemple en tant que pied-à-terre pour le travail.
Les deux autres tiers sont utilisés uniquement par le propriétaire (ou par des locataires courte durée) et n’alimentent pas le marché locatif local. Ce sont les propriétaires de ces résidences qui nous intéressent dans l’analyse suivante.
On observe trois catégories de propriétaires selon leur origine. Pour chacune, on peut (très) grossièrement définir un profil-type...
Les Franciliens Plus jeunes, souvent actifs, ils correspondent au propriétaire "investisseur" qui se constitue un patrimoine immobilier, ou garde en réserve un bien pour y loger un de ses enfants.
Les Français non-franciliens En général retraités, ils ont habité à Paris auparavant mais ont déménagé hors de la capitale. Leur ancienne résidence principale parisienne est devenue leur résidence secondaire.
Les étrangers Venant principalement d'Italie, du Royaume-Uni, de Suisse ou des Etats-Unis, ils détiennent des biens plus grands et davantage localisés dans le centre historique.
Dans tous les cas, ces propriétaires sont en général plus âgés et significativement plus riches que les propriétaires parisiens classiques, eux-mêmes plus aisés que les autres ménages parisiens (locataires), eux mêmes plus aisés que les ménages français…
En termes de logement, les grandes villes françaises sont ce qu’on appelle des zones tendues : l’offre n’y est pas assez importante pour satisfaire la demande, ce qui entraîne des loyers importants.
Et en plus de ça, les résidences principales se font petit à petit remplacer par des résidences secondaires, inoccupées la plupart du temps.
Pour certains quartiers très touchés par le phénomène, l’un des coupables est tout trouvé : Airbnb, entré sur le marché parisien en 2011, a poussé de nombreux propriétaires à mettre des logements sur la plateforme en tant que résidence secondaire (souvent de façon illégale, on y revient plus tard) plutôt que de les louer sur une longue durée, rentabilité oblige…
Si on regarde de plus près l'implantation d'Airbnb à Paris, on voit qu'une grande partie des annonces est située dans le Nord et le Centre-Est de la capitale: les 2ème, 3ème, 10ème, 11ème, 17ème et 18ème arrondissements.
Dans ces mêmes quartiers, on mesure bien le remplacement des résidences principales par des résidences secondaires lors de la dernière décennie. Si on prend en compte toutes les plateformes (Airbnb, Abritel, etc), les locations saisonnières seraient responsables de 41% de la hausse du nombre de logements inoccupés entre 2011 et 2017 à Paris.
Mais Airbnb n'est pas le seul coupable et le phénomène est présent dans (quasiment) tous les quartiers parisiens. Au total, entre 2011 et 2020, près de 40.000 résidences principales sont "devenues" des résidences secondaires à Paris.
Qui dit moins de logements, dit des loyers plus chers. Soyons honnêtes, d’autres facteurs rentrent en compte, mais on peut faire le lien avec l’augmentation de plus de 20% du loyer moyen dans la capitale sur la dernière décennie.
Qui dit loyers plus chers, dit moins de personnes qui peuvent habiter la ville : Paris a perdu 90 000 habitants sur la même période.
Et le danger derrière tout ça, c’est celui de la gentrification : les personnes qui n’ont plus les moyens d’habiter la ville vont vivre en périphérie, les prix en périphérie augmentent… et c’est un cercle vicieux.
D’ailleurs, on voit bien sur la série de cartes ci-dessous, que dans chaque métropole, le phénomène des résidences secondaires grignote de plus en plus les quartiers périphériques, et probablement bientôt les villes alentours.
Les résidences secondaires posent donc un triple problème :
Qu’on soit bien clairs, ces problèmes ne concernent bien entendu pas que Paris ou les grandes villes, mais également de nombreuses communes sur les littoraux.
Pour remédier à l’inflation des loyers et à la muséification, il faut ré-augmenter l’offre de logements. Et si on veut le faire en évitant les impacts environnementaux de la construction et l’artificialisation des sols qui en résulte, il faut remettre des résidences secondaires sur le marché des logements disponibles.
Pour ce faire, quel que soit le territoire, de nombreuses solutions s’offrent à l’État et aux collectivités, qu’on a réunies ci-dessous (tu peux cliquer sur chaque carte pour voir plus de détails).
Et ces idées ne viennent pas de nulle part. Certaines ont déjà été appliquées chez nos voisins européens, en Amérique du Nord, et même jusqu’en Nouvelle-Zélande et à Hong Kong.
Pour t’en convaincre, on termine cet article par cette carte du monde qui montre les règlementations déjà en vigueur dont notre pays pourrait s’inspirer.