Le 9 mars 2024
Alors que la loi demande aux communes peu fournies en logements sociaux de rattraper leur retard, la Fondation Abbé Pierre pointe du doigt la mauvaise volonté de certains élus locaux.
À l’inverse, les dernières déclarations du Premier Ministre tendent davantage à assouplir la loi plutôt qu’à la faire respecter.
Adoptée en 2000 sous le gouvernement de Lionel Jospin, la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU, vise à augmenter la part des logements sociaux dans les communes qui en ont peu.
Pour ce faire, elle définit :
En poussant certaines communes à combler leur retard et à prendre leur part, la loi SRU vise à promouvoir la mixité sociale et la solidarité nationale entre les territoires. Dans une tribune publiée dans Le Monde en février 2024, deux anciens ministres du logement et plusieurs acteurs de la solidarité la désignent comme faisant partie “des grands textes qui structurent notre démocratie”.
La moitié des logements sociaux en France sont par ailleurs financés dans des communes du périmètre SRU, ce qui témoigne de la pertinence de la loi.
Voyons plus précisément où se situent les communes du périmètre SRU.
Au sein de ce périmètre, près de la moitié des communes sont aujourd’hui au-delà de leur quota (ou en sont exemptés pour diverses raisons).
Mais 20 ans après la promulgation de la loi, 1030 communes (48%) sont encore déficitaires.
Tous les trois ans, afin de combler une partie de leur retard, chaque commune déficitaire se voit attribuer :
Une commune qui n’a pas atteint ses objectifs au terme de la période peut être “carencée”, ce qui l’expose à des sanctions telles que des amendes ou la perte de certaines compétences d’urbanisme.
Dans cet article, sauf précision, nous désignerons par “objectif” le seul objectif quantitatif.
En décembre 2023, la Fondation Abbé Pierre a établi son Palmarès de la loi SRU, qui identifie les communes ayant respecté ou non leurs objectifs fixés sur la période triennale 2020-2022. Faisons un petit tour d’horizon :
Voici les 1030 communes françaises en question, identifiées comme en retard en 2020. La taille de chaque bulle correspond à sa population. On y retrouve notamment les plus grandes villes comme Paris, Marseille, Lyon ou Nice.
Seules 385 de ces communes (37% du total) ont atteint leurs objectifs quantitatifs sur la période 2020-2022. C'est bien moins que lors des deux périodes triennales précédentes (55% pour 2014-2016 et 2017-2019). 645 communes n'ont pas atteint leurs objectifs.
On voit par ailleurs ici que la grande majorité des 273 communes déjà carencées lors de la dernière période triennale n'ont de nouveau pas fait les efforts nécessaires pour répondre à la loi SRU.
En croisant ces données sur les logements sociaux (fournies par les ministères et la Fondation Abbé Pierre) avec les données de revenu par commune (fournies par l’INSEE), on peut dresser un premier profil des communes qui contribuent le moins à l’effort collectif.
Si on regarde les communes faisant partie du périmètre de la loi SRU, on voit clairement que plus le niveau de vie est élevé, moins la commune possède de logements sociaux.
Ainsi, les communes les plus riches sont presque toujours déficitaires. Certaines communes en bleu en-dessous de ce seuil ne sont pas considérées comme déficitaires. Elles ont été exemptées pour différentes raisons (zones peu tendues, isolées, inconstructibles).
Jusque là, rien d'étonnant à ce que le taux de logements sociaux soit corrélé au niveau de vie. Ce qui l'est plus, c'est que ce n'est pas près de s'arranger. Reprenons nos communes soumises à la loi SRU. Chaque point représente une commune et sa couleur indique si elle atteint ou non ses objectifs.
Sur la dernière période triennale, on voit clairement que plus les communes sont riches (c'est-à-dire plus on va vers la droite du graphique), moins elles atteignent leurs objectifs.
Le contraste des efforts consentis par les villes riches et pauvres est également visible géographiquement, lorsqu’on zoome sur certains territoires emblématiques.
Voici à nouveau la carte des communes du périmètre SRU, coloriée selon l'atteinte ou non des objectifs fixés.
En zoomant sur l'agglomération lyonnaise, on remarque une vraie différence entre les communes plus riches à l'ouest de la Saône et du Rhône (villes des Monts d'Or, Tassin-la-Demi-Lune, Sainte-Foy-lès-Lyon), souvent loin de leurs objectifs, et les communes populaires à l'est, qui respectaient déjà quasiment toutes le quota imposé.
De même, en région parisienne, ce sont surtout les riches villes de l'Ouest (Boulogne, Versailles, Levallois) et quelques-unes très aisées de l'Est (Vincennes, Saint-Mandé, Nogent-sur-Marne) qui font très peu d'efforts.Mention spéciale à Neuilly-sur-Seine qui a réalisé 1% de son objectif (31 logements produits sur les 2840 nécessaires), et qui a été systématiquement carencée depuis l'adoption de la loi SRU.
Ce manque d’efforts des communes les plus riches trahit parfois une véritable volonté d’évitement de la mixité sociale de la part des élus locaux et de la population. À Neuilly-sur-Seine, commune la plus riche de France, le maire-adjoint au Logement expliquait en 2019 que, lors des trois dernières années, « la moitié des opérations de construction de logements sociaux [avait] fait l’objet d’un recours” de la part de la population. Selon L’Humanité, le maire de Boulogne-Billancourt (Pierre-Christophe Baguet, LR) assumerait lui de ne pas respecter la loi SRU afin de “préserver la qualité de vie”.
Nous avons vu que, parmi les grandes villes françaises déficitaires en logements sociaux, le chemin parcouru sur la période 2020-2022 a été très variable : Paris, Montpellier et Nîmes ont respecté l’objectif quantitatif. Lyon et Bordeaux ne sont pas loin, et Nice, Toulon, et Marseille sont très en retard.
Mais ce constat masque des disparités internes très fortes dans chacune de ces villes, entre quartiers favorisés et défavorisés.
Zoomons sur Nice, dont le maire, Christian Estrosi (LR), est l'un des plus farouches opposants à la loi SRU. Découpons la ville en quartiers.
Les rares quartiers contribuant au logement social sont ceux où de grands ensembles ont été développés dès les années 1960 : Les Moulins, Las Planas, L'Ariane, Saint-Roch. À la Lauvette (revenu annuel médian : 15500€), le taux de logements sociaux dépasse 50%.
Quartier de l'Ariane, Nice
À l'est, ces quartiers populaires sont très proches du quartier touristique du Vieux-Nice et du quartier très chic du Mont Boron, où le taux de logements sociaux est proche de 0%.
Regardons maintenant Paris. Si la capitale respecte son objectif quantitatif (mais pas qualitatif !), il y a encore une nette différence entre les quartiers.
Les zones les moins contributrices sont celles très aisées du centre et de l'Ouest, contrairement aux quartiers plus populaires du Nord-Est. La ceinture verte fait ressortir les emblématiques Habitations Bon Marché (HBM) ceinturant Paris, construites à partir des années 1920 à l'endroit des anciennes fortifications du XIXème siècle.
Pour généraliser le propos, voici la traduction graphique de ces constats dans les plus grandes villes de France. La règle est la même partout : plus les quartiers sont aisés, moins ils prennent leur part de logements sociaux.
Un des nombreux "HBM" de briques, quartier Bel-Air
Pourtant, la plupart des maires de grandes villes ont récemment appelé le gouvernement à préserver la loi SRU. Parmi eux, on ne retrouve que des maires socialistes ou écologistes. Christian Estrosi n’y figure évidemment pas.
Le niveau de vie élevé n’est pas la seule caractéristique des communes récalcitrantes à la production de logements sociaux. Il y a également des comportements propres à certains territoires. Pour le comprendre, on vous propose un article dédié à la région PACA.
Un zoom sur la région qui respecte le moins la loi SRU
On pourrait croire que, face à la mauvaise volonté de certains édiles cultivant l’entre-soi, le gouvernement taperait du poing sur la table. C’est tout le contraire.
Le Premier Ministre Gabriel Attal, dans son discours de politique générale du 30 janvier 2024, a même annoncé vouloir intégrer les logements intermédiaires (PLI) dans le quota des 25%. Cette mesure, une aubaine pour les maires ne souhaitant pas produire de nouveaux logements sociaux, porterait selon les signataires de la tribune du Monde un “coup terrible à un équilibre républicain devenu essentiel”.
Les logements intermédiaires, bien que nécessaires pour un grand nombre de personnes, sont en effet inaccessibles pour plus de 95% des ménages demandeurs d’un logement social. Le plafond mensuel de ressources pour bénéficier d’un logement intermédiaire à Lyon est de 7500€ pour un couple avec deux enfants : c’est loin de la situation précaire de ménages qui attendent parfois de nombreuses années avant de se voir attribuer un logement social. Un délai qui pourrait s’allonger si le gouvernement décide de faire marche arrière sur les politiques de solidarité nationale.
Une telle mesure serait également un pied-de-nez aux nombreuses communes qui ont fait un réel effort sur la production de logements sociaux. Certaines d’entre elles comme Nîmes ou Montélimar ont en effet très largement dépassé leurs objectifs.
À rebours du discours de Gabriel Attal, la Fondation Abbé Pierre dénonce dans son palmarès “une politique gouvernementale ayant délaissé le logement social et […] la mauvaise volonté de plusieurs centaines de maires”. Elle préconise :
La véritable application de la loi SRU sera probablement plus efficace que les déclarations du Premier Ministre pour lutter contre la crise du logement. Rappelons que, d’après la Fondation Abbé Pierre, 4,1 millions de personnes sont encore mal-logées en France aujourd’hui.